Londres, 1940. Sous les bombes de la Luftwaffe, un homme au cigare et à la détermination inébranlable s’adresse à tout un peuple : Winston Churchill. Par ses mots, il transforme la peur en résolution, le doute en combativité. Son secret ? Un leadership hors du commun, forgé dans la crise. Sept décennies plus tard, le champ de bataille a changé : c’est le marché mondial, où les entreprises se livrent une concurrence acharnée. Et ce n’est pas un hasard si l’on parle de campagnes marketing, tant conquérir un marché peut s’apparenter à une opération militaire. Pourtant, les principes de commandement du « Vieux Lion » restent étonnamment pertinents. Que ce soit pour définir une stratégie de pricing audacieuse ou réussir un lancement de produit industriel ambitieux, les PDG peuvent trouver dans l’héritage de Churchill des leçons précieuses.
Comment un dirigeant de l’aéronautique, de la défense ou de l’automobile — à la tête d’une entreprise de plusieurs centaines de millions d’euros de chiffre d’affaires — peut-il s’inspirer d’un Premier ministre britannique du milieu du XXe siècle ? L’analogie surprend, mais l’histoire offre souvent des parallèles instructifs. Leadership, vision, communication… autant de domaines où Churchill excellait et qui sont au cœur du marketing stratégique en B2B. Nous avons réuni cinq principes clés du leadership version Churchill, et les avons appliqués au marketing moderne, avec à l’appui des exemples concrets tirés de l’industrie lourde. Voici ces 5 principes de leadership churchilliens adaptés à la conduite du marketing.
1. Une vision claire et inébranlable
« Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. » Lorsque Churchill prononce ces mots en 1940, il ne vend pas des promesses illusoires. Il fixe un cap clair : la victoire à tout prix, malgré les sacrifices à consentir. Cette vision nette et inébranlable a donné du sens à l’action de millions de personnes. De même, dans le monde de l’entreprise, un leader doit énoncer une vision forte et cohérente pour guider ses équipes et orienter son marketing.
Dans l’aéronautique, par exemple, les dirigeants d’Airbus ont dès les années 1970 affiché une vision ambitieuse : faire de l’Europe un leader mondial de l’aviation face au géant américain Boeing. Cette vision, malgré le scepticisme initial, a permis d’unifier des équipes multinationales autour d’un objectif commun. Chaque campagne marketing, chaque lancement de nouvel avion, était guidé par ce rêve fondateur. Le résultat ? Quelques décennies plus tard, Airbus rivalise à armes égales avec Boeing en occupant près de la moitié du marché mondial de l’aviation civile (2/3 tout de même pour Airbus en 2024), et certains de ses modèles comme l’A320 sont devenus des best-sellers. Sans la clarté de cette vision initiale, appuyée par des objectifs concrets, un tel exploit était impensable.Une vision claire aide aussi à tracer les contours d’un produit et de son positionnement sur le marché. Si un PDG définit nettement où il veut emmener son entreprise, ses décisions en matière de produits et de marketing s’en trouvent facilitées. Par exemple, le groupe automobile Renault au début des années 2000 s’est donné pour vision de conquérir les marchés émergents avec une voiture ultra-low cost. Cette vision, incarnée par le projet Logan, était très claire : proposer une voiture robuste à 5000 euros. Elle a orienté toutes les décisions de conception, de pricing et de distribution du projet. Malgré les doutes (une telle voiture allait-elle trouver preneur ? ne risquait-elle pas de cannibaliser les ventes des modèles plus chers ?), la direction a tenu le cap. Au final, la Dacia Logan a été un succès planétaire et a redéfini les règles du jeu sur de nombreux marchés. La leçon est limpide : un leader marketing qui sait où il va, à l’image de Churchill en 1940, peut transformer une vision en réalité profitable.
2. Une communication honnête et inspirante
Winston Churchill était un homme de mots. Ses discours enflammaient les cœurs tout en restant ancrés dans la vérité. Il n’a jamais caché à ses compatriotes les épreuves qui les attendaient, mais il savait aussi trouver les phrases qui donnent du courage. Cette alliance d’honnêteté et d’inspiration est un second principe fondamental. Pour un directeur marketing ou un PDG, communiquer de façon authentique sans cesser de motiver est un équilibre à rechercher en permanence.
Dans le secteur automobile, prenons l’exemple de Toyota lors de la crise des rappels massifs en 2010. Le constructeur a été confronté à un grave problème de qualité obligeant à rappeler des millions de véhicules. La première réaction de Toyota fut maladroite, perçue comme une minimisation du problème, ce qui a entamé la confiance du public. Conscient de l’erreur, le PDG Akio Toyoda a rapidement changé de ton : il s’est excusé publiquement, a admis les insuffisances et a détaillé les mesures prises pour corriger les défauts. Ce mea culpa sincère, suivi d’actions concrètes, a permis à Toyota de restaurer peu à peu son image. La transparence, même dans l’adversité, s’est révélée payante — tout comme Churchill, qui n’hésitait pas à exposer les durs réalités pour mieux convaincre de la nécessité d’agir.
Une communication claire et inspirante est également cruciale lors d’un lancement de produit. Sur un marché B2B complexe, il ne suffit pas d’avoir une bonne offre : encore faut-il savoir l’expliquer et en faire rêver les clients potentiels. Pensez à la façon dont Elon Musk présente les nouveaux produits de SpaceX ou Tesla : avec passion, en peignant une vision d’avenir qui captive l’auditoire. Bien qu’il opère dans des secteurs très techniques (fusées, batteries électriques), il réussit à vulgariser et à inspirer, si bien que même des non-spécialistes parlent de moteurs fusée ou d’autonomie de véhicules électriques. Pour un leader marketing, la leçon est que la communication ne doit jamais être un après-coup technique. C’est une arme stratégique pour gagner les esprits et les parts de marché, à condition d’y insuffler sincérité et énergie. Une histoire bien racontée, appuyée sur des valeurs réelles, peut justifier un positionnement haut de gamme ou un pricing plus élevé, parce qu’elle crée de la confiance et du désir autour du produit.En interne aussi, la communication d’un dirigeant à la Churchill peut faire des miracles. Un PDG qui explique clairement la stratégie à ses collaborateurs, qui reconnaît les difficultés mais met en avant la vision commune, mobilisera bien plus ses troupes qu’un chef flou ou déconnecté. Dans l’industrie de la défense, les grandes réussites viennent souvent de programmes où chacun comprenait la mission — pensons au projet Rafale côté français : pendant des années, gouvernement, ingénieurs et commerciaux ont gardé le même message d’un avion polyvalent et souverain, malgré les échecs initiaux à l’export. Cette cohérence de discours, martelée avec conviction, a fini par convaincre des clients étrangers. L’Egypte, le Qatar puis l’Inde ont acheté le Rafale, preuve qu’une communication endurante et alignée sur une vision forte finit par porter ses fruits.
3. Le courage stratégique et la prise de risques
« Le courage est la première des qualités humaines car elle garantit toutes les autres », disait Churchill. Son leadership a été marqué par des décisions audacieuses, qu’il s’agisse de refuser le désespoir en 1940 ou de lancer des offensives inattendues. Transposé au monde de l’entreprise, le courage stratégique se traduit par la capacité à innover et à prendre des risques calculés, là où d’autres jouent la prudence excessive.
Dans l’industrie automobile, certaines décisions audacieuses ont changé la donne. Lorsque Tesla a mis sur le marché sa Model S 100% électrique à contre-courant de l’industrie, c’était un pari risqué : peu de gens croyaient à l’époque qu’on puisse vendre une berline électrique de luxe en grand volume. Le succès de Tesla a prouvé le contraire, forçant même les constructeurs historiques à accélérer leurs propres plans électriques. Cette audace rappelle celle de Churchill, seul contre presque tous en 1940 quand il refusait tout compromis avec l’ennemi nazi. De même, un dirigeant doit parfois avoir le courage de maintenir un cap stratégique innovant même quand peu y croient, que ce soit lancer un produit révolutionnaire ou adopter un modèle d’affaires inédit.
Le courage en marketing, c’est aussi assumer des choix différenciants. Par exemple, décider de pratiquer un pricing premium là où la concurrence écrase ses prix peut sembler suicidaire à court terme, mais payant sur la durée si votre produit apporte une vraie valeur ajoutée. C’est le pari qu’a fait Apple dans la tech ou que font certaines marques automobile haut de gamme : ne pas brader la qualité, tenir un positionnement élevé, convaincues que les clients finiront par reconnaître l’excellence. Ce choix requiert du cran, notamment en B2B où la tentation de remporter des contrats en cassant les prix est forte. Mais du cran, Churchill n’en a jamais manqué, et l’histoire donne souvent raison à ceux qui défendent fermement la valeur plutôt que de céder à la facilité.
Dans l’aéronautique ou la défense, le courage stratégique peut prendre la forme d’investissements colossaux sur des technologies d’avenir sans garantie de réussite. Le développement d’un nouvel avion de combat, par exemple, mobilise des milliards sur 10 ou 15 ans. Il faut une sacrée audace aux dirigeants pour s’engager sur de tels programmes, souvent critiqués en cours de route. Lockheed Martin, avec le projet F-117 Nighthawk dans les années 1980, a osé parier sur la furtivité — une technologie révolutionnaire — quand peu y croyaient. L’avenir lui a donné raison : cette avance technologique lui a offert un quasi-monopole initial sur les avions furtifs, un avantage compétitif décisif.
De même, Rolls-Royce a pris un risque en transformant son modèle économique de vente de moteurs d’avion en offre de service « Power by the hour » (facturation à l’heure de vol) dans les années 2000. Parier sur un tel lancement de produit financier était audacieux, mais cela a séduit les compagnies aériennes en leur offrant plus de prévisibilité et de soutien technique. Aujourd’hui, ce modèle est largement répandu dans l’industrie. Il a fallu la vision et le courage d’un leadership à la Churchill pour opérer ce changement radical avant les autres.
4. La persévérance face à l’adversité
S’il ne fallait retenir qu’un mantra de Churchill, ce serait sans doute : « Never surrender » — ne jamais se rendre. La persévérance était chez lui une seconde nature. Quelles que soient les défaites temporaires, il gardait le cap jusqu’à renverser la situation en sa faveur. Dans le monde des affaires, ce qu’on appelle aujourd’hui la résilience est tout aussi nécessaire. Les échecs font partie du parcours, surtout dans le B2B industriel où les cycles sont longs et les obstacles nombreux. La différence se fait entre ceux qui abandonnent à la première embûche et ceux qui persistent, apprennent et finissent par triompher.
L’exemple du Rafale est emblématique à cet égard. Cet avion de combat français, d’excellente facture technique, a longtemps été un succès uniquement national faute d’acheteurs à l’export. Pendant plus de dix ans, Dassault Aviation a enchaîné les tournées commerciales et les démonstrations sans parvenir à convaincre les pays étrangers de signer. D’aucuns évoquaient un échec cuisant, prédisant la fin du Rafale après le refus de tel ou tel client potentiel. Mais à l’image de Churchill refusant la défaite, les équipes de Dassault et le gouvernement français n’ont pas baissé les bras. Améliorant sans cesse l’appareil, adaptant les offres de financement, forgeant des coopérations diplomatiques, ils ont labouré le terrain aussi longtemps qu’il le faudrait. Et en 2015, la persévérance a payé : l’Égypte a signé le premier contrat d’exportation pour 24 Rafale. Quelques mois plus tard, le Qatar faisait de même, suivi par l’Inde l’année suivante. Finalement, ce qui était considéré comme un échec s’est transformé en succès international — grâce à la ténacité sans faille des dirigeants et de leurs équipes.
La persévérance implique également de savoir apprendre des revers pour mieux rebondir. Churchill lui-même avait tiré les leçons de la débâcle des Dardanelles en 1915 pour affiner son leadership. Dans le monde de l’entreprise, chaque échec de produit ou contrat perdu doit servir à renforcer la stratégie. SpaceX, par exemple, a essuyé plusieurs explosions de fusées avant de réussir le premier lancement réussi de Falcon 1. Plutôt que de renoncer, Elon Musk et son équipe ont amélioré le design à chaque échec jusqu’à la victoire. De même, IBM a dû réinventer son modèle dans les années 1990 après des pertes abyssales ; au lieu de disparaître, l’entreprise s’est transformée en leader des services, un tournant qui n’aurait pas été possible sans un leadership persévérant acceptant de revoir sa copie et de persister dans une nouvelle voie. Comme le disait Churchill : « Le succès n’est pas final, l’échec n’est pas fatal : c’est le courage de continuer qui compte. » Cette maxime devrait figurer en bonne place dans le bureau de tout dirigeant marketing naviguant en eaux troubles.
5. L’art de s’entourer et de collaborer
Enfin, Churchill savait mieux que quiconque qu’on ne gagne pas seul. Son talent de leader s’est aussi manifesté dans sa capacité à s’entourer des bonnes personnes et à forger des alliances stratégiques. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a travaillé étroitement avec Roosevelt et Staline, a écouté les conseils de ses généraux, et s’est appuyé sur des scientifiques de génie (comme Alan Turing pour le déchiffrage d’Enigma ou les inventeurs du radar). Sans cette équipe et ces alliés, même le plus grand des leaders serait resté impuissant.
Dans le marketing contemporain, la collaboration est tout aussi déterminante. D’abord en interne : un lancement de produit réussi mobilise souvent des dizaines de métiers différents, de la R&D à la supply chain en passant par le commercial. Le marketing doit jouer le rôle de chef d’orchestre, assurant la cohésion de tous vers l’objectif commun. Un PDG ou CMO inspiré par Churchill veillera à créer cet esprit d’équipe, à valoriser l’expertise de chacun et à faire circuler l’information. Par exemple, pour lancer un nouveau modèle d’avion, Boeing ou Airbus organisent dès les phases de conception une collaboration étroite entre ingénieurs, responsables marketing et futurs clients (les compagnies aériennes). Les retours des uns enrichissent les décisions des autres, ce qui permet d’affiner le produit selon les attentes du marché tout en évitant les impasses techniques. Cette approche collaborative évite bien des écueils lors de la mise sur le marché, et garantit que le jour J, tout le monde avance en ordre serré. Ce genre de synergie interne, orchestrée par un leadership solide, fait souvent toute la différence lors des grands rendez-vous du marché.
Ensuite, il y a les alliances externes. Dans l’industrie lourde, les partenariats stratégiques sont souvent indispensables pour accéder à de nouveaux marchés ou réaliser des projets d’envergure. L’exemple de l’Alliance Renault-Nissan est parlant : en unissant leurs forces en 1999, ces deux constructeurs ont combiné leurs ressources et leur savoir-faire. Ils ont pu partager des plateformes technologiques, réduire leurs coûts et présenter une gamme de produits plus large, adaptée à chaque marché local. Le succès de modèles comme la Nissan Leaf (pionnière des voitures électriques grand public) doit beaucoup à ce travail d’équipe international. De même, dans la défense, des entreprises autrefois concurrentes s’allient souvent pour répondre ensemble à des appels d’offres colossaux — tel le consortium MBDA dans les missiles, réunissant Français, Britanniques, Italiens et Allemands. Ce type de coalition industrielle permet de réunir les compétences les plus pointues et d’offrir au client (souvent un État) une solution plus complète, plus crédible. C’est exactement l’esprit des Alliés durant la guerre : un front uni multiplie les chances de victoire.
Savoir s’entourer, c’est enfin reconnaître que l’on a toujours à apprendre des autres. Un bon leader marketing encourage les idées de son équipe, fait confiance aux expertises de ses partenaires, et crée un climat où la coopération prime sur les égos. Ce principe d’humilité active était cher à Churchill, capable de revenir sur une position si un conseiller lui apportait la preuve qu’il se trompait. Dans un contexte d’innovation rapide, aucune entreprise ne peut tout faire seule ni tout savoir en interne. Les PDG qui l’ont compris bâtissent des écosystèmes autour de leur offre : réseaux de fournisseurs intégrés, partenariats de co-développement, collaboration avec des start-ups agiles, etc. C’est cette intelligence collective, catalysée par un leader rassembleur, qui fait souvent la différence entre un projet avorté et un succès commercial retentissant.
Conclusion
En parcourant ces cinq principes — vision, communication, courage, persévérance, collaboration — une idée s’impose : le leadership selon Churchill transcende son époque et son contexte. Bien sûr, diriger une entreprise n’est pas mener une guerre. Les « combats » d’un PDG se jouent sur les marchés, dans les salles de réunion et les centres d’innovation, pas sur les plages du Débarquement. Mais l’essence même du leadership — inspirer une équipe, tracer un cap dans la tempête, oser décider et persister jusqu’au résultat — est universelle. Un patron du secteur aérospatial ou automobile qui applique ces recettes churchilliennes à son marketing multiplie ses chances de transformer un bon produit en succès éclatant — bref, une véritable victoire sur le marché.
Ces principes ne sont pas des théories abstraites, comme le prouvent les études de cas évoquées : ils ont été déclinés avec succès par des entreprises réelles de l’industrie lourde. Reste à savoir comment vous, en tant que dirigeant, choisirez de les mettre en pratique. Allez-vous affûter votre vision stratégique pour le prochain lancement de produit ? Renforcer la cohésion de vos équipes autour d’un message fort ? Avoir le courage de revoir votre pricing pour refléter la véritable valeur de vos innovations ? La balle est dans votre camp.En 1946, alors qu’il dressait le bilan de la guerre, Churchill a prononcé une phrase qui résume l’urgence d’agir : « Il ne suffit pas de faire de notre mieux ; parfois, il faut faire ce qui est nécessaire. » Dans le monde de l’entreprise aussi, le temps n’est pas à l’hésitation. L’environnement des affaires évolue vite, et les occasions manquées ne se rattrapent pas. S’inspirer de ces principes de leadership, c’est vous donner les moyens de faire ce qui est nécessaire pour guider votre marketing vers la victoire. À vous de jouer !